Comment la compassion peut sauver nos relations tendues
Lorsque des relations personnelles et des différences idéologiques se heurtent, le résultat peut mener à des relations tendues, ou même à des années de silence et de distance. L'actrice Betty Hart propose une alternative au mépris et aux attitudes hautaines : la compassion, et une chance de grandir et de changer plutôt que de perdre de précieux moments avec nos proches.
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J’avoue être la chouchoute de mon père. Mon papa est la première personne à m’avoir dit que j’étais magnifique. Il m’a très souvent dit qu’il m’aimait, et il était l’une des personnes que j’aimais le plus au monde, et c’est pourquoi il fut très difficile de réaliser que nous avions une profonde fracture idéologique si sincère et si profonde qui cela m’a menée à ne plus lui parler durant 10 ans. Avant que le terme ne soit inventé, j’ai annulé mon père.
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Ces dernières années, la cancel culture a bien sûr pris une place dominante. Cela a toujours existé, mais dans la société en général c’est lorsqu’une personne importante dit ou fait quelque chose que nous, en tant que société, désapprouvons, et une décision est prise pour les rendre indésirables. C’en est fini pour eux. Il ne sont plus désirables. Ils n’ont plus à faire partie de notre monde. Et cela au sein de la sphère publique. Aujourd’hui je vais vous parler de la sphère privée. Lorsque nous choisissons d’annuler les personnes de notre entourage, les personnes de notre cercle proche, ceux qui nous aime et que nous aimons, et que ce fut mutuellement bénéfique, mais dû à une profonde et sincère fracture idéologique, nous prenons la décision de les annuler, les supprimer de nos vies. Je suggère qu’il faut que la cancel culture change, et qu’à la place, nous nous tournions vers une culture de compassion.
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Mais avant de vous parler de cela, je vais évoquer les deux conditions pour pouvoir céder à la cancel culture. De un, il faut être sûr d’avoir raison. A 100 %, impossible d’avoir tort. Et de deux, l’autre personne, celle que l’on va annuler, n’est clairement pas capable de changer, de grandir, d’évoluer.
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Bien évidemment, les deux sont problématiques car parfois nous n’avons pas raison. Je ne sais pas pour vous, mais il y a eu des fois dans ma vie où j’étais sûre et certaine d’avoir raison pour au final réaliser que j’avais tort, vraiment tort, et que je m’étais complètement trompée. Donc si ça a pu m’arriver et peut-être que ça vous est arrivé, clairement, ça pourra arriver à l’autre aussi.
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La seconde condition est même un peu plus difficile car je sais que j’ai changé au fur et à mesure des années. Nous changeons tous, pas vrai ? Bien que la nature profonde de Betty est restée à peu près la même, certains éléments clés ont radicalement changé. La Betty de 8 ans n’était pas la même que la Betty de 18 ans, ni celle de 28 ans, ni celle de 38 ans. J’ai changé. Et si je suis capable de changer, ne devrais-je pas élargir ma bonté pour croire que les autres le sont aussi ?
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Donc, qu’est ce que l’on devrait faire ? Au lieu d’annuler les gens, on devrait utiliser cet outil appelé la compassion. Je trouve que la définition du mot compassion est fascinante. Pas celle que nous avons l’habitude d’entendre. La compassion signifie souffrir avec quelqu’un. Souffrir avec eux. Imaginez. Lorsque que quelqu’un, notre grand-père par exemple, a proféré cette chose qui nous a poussé à décider qu’il ne serait plus invité à Thanksgiving, et si au lieu de ça, on décidait de souffrir avec lui ? On décide que notre amour est si grand, si profond, si fort, que l’on est prêt à souffrir, même quand ça pourrait être potentiellement douloureux.
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Mais soyons clairs. Je n’interdis à personne le droit d’annuler quelqu’un. Ce que je suggère, c’est que ce n’est peut-être pas la meilleure chose à faire. Quand on pense à la situation avec notre grand-père à Thanksgiving, si on choisit de l’annuler, on perd cette proximité avec lui. Non seulement on ne peut plus entendre son point de vue, mais on ne peut pas non plus partager le nôtre. Et si nous étions la seule personne, à cause de notre profonde connexion, amour et affection pour notre grand-père, et substituez ça à qui vous voulez. Et si nous étions ceux qui sèment des graines de changement, des graines d’influence, des graines de différence. Mais, pour être franche, je ne peux pas vous promettre que parce que vous avez semé une graine, celle-ci sera arrosée, qu’elle va recevoir la lumière du soleil ou même un peu d’engrais. Mais ce que je peux vous dire, c’est que si vous ne la semez pas, qui le fera ?
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Je trouve ça intéressant, cette idée de souffrir avec quelqu’un. Cela signifie que l’on choisit de donner de la valeur à l’entièreté de la personne plutôt qu’à un aspect en particulier, comme un cadre, un état d’esprit ou un système de croyances. On choisit de croire que l’entièreté de la personne a plus de valeur que n’importe quelle autre partie individuelle.
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Et j’ai trouvé un incroyable duo qui le démontrait magnifiquement bien. Vous les connaissez peut-être. Les défunts juges Ruth Bader Ginsburg et Antonin Scalia étaient des amis très proches. Et ils étaient complètement divisés en terme de système de croyances. D’ailleurs, Antonin Scalia a dit, «Tout est aimable chez elle, mis à part ce qu’elle pense de la loi.» Il était convaincu qu’elle avait tort. Elle était convaincue qu’il avait tort. Ils n’ont jamais changé d’opinion. Et pourtant, ils prenaient le thé ensemble toutes les semaines, et chaque Nouvel An, ils le passaient ensemble avec leurs familles. Ils partaient en vacances en famille ensemble. Ils ont choisi de souffrir l’un avec l’autre plutôt que de s’annuler l’un et l’autre. Leur amour et leur respect mutuel a continué de grandir, même s’ils ne partageaient pas le même point de vue.
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J’imagine que la curiosité en fait probablement partie. Que si l’on choisit d’être curieux de ce qui est différent, ils se pourrait que l’on découvre quelque chose au fil du temps. Après tout, si l’on est qui l’on est, dû à nos expériences vécues, n’est-ce pas le cas pour quelqu’un d’autre ? A t-on déjà décidé d’utiliser cet outil de l’empathie, de se mettre à la place de quelqu’un d’autre pour réellement découvrir le contexte de pourquoi ils croient ce qu’ils croient ?
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Maintenant, vous vous dites probablement, « Oui, d’accord Betty, ça me semble être une bonne chose. Mais qu’en est-il pour toi ? Qu’en est-il de toi et ton père ? » C’est une question légitime. Après 10 années de silence entre nous, j’ai un jour pris le téléphone, je l’ai appelé et lui ai dit : « Je suis sûr que si tu le pouvais, tu reviendrais probablement en arrière et changerais certaines choses. Je sais que je le ferais. Mais puisqu’on ne peut pas, et si nous prenions un nouveau départ ? » Et il a dit : « Oui, parce que je t’aime. Je t’ai toujours aimé. Et je t’aimerai toujours. » Je suis si heureuse d’avoir fait cet appel parce qu’il n’y avait aucun moyen que je sache que quelques années plus tard mon père développerait l’Alzheimer. Et que quelques années après ça, il mourrait. Nous n’avons jamais partagé le même point de vue que ce qui nous divisait. Jamais. Mais notre amour a duré. Il a duré durant ces 10 années où l’on ne se parlait pas et il a duré durant les six années suivantes.
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Je nous encourage donc à devenir cette société de personnes qui choisissent la compassion. Je nous demande de considérer le fait que la curiosité pourrait être une meilleure façon de faire. Que l’on puisse choisir l’empathie, que l’on puisse choisir d’avoir un amour si profond, si grand, si fort, qu’il puisse surpasser nos différences. Pourquoi avons-nous tellement peur des différences, tout compte fait ? Je veux aussi que nous soyons ces gens qui sèment des graines, des graines de changement, des graines d’influence, des graines de diversité. Encore une fois, je ne peux pas vous promettre que semer une graine fera une différence. Mais si c’était le cas ? Je suis la somme de ce que je suis à cause de toutes les choses auxquelles j’ai été exposées. Ma façon de penser a changé au fil des ans et a grandit autour de ces personnes de ma vie qui ont semé des graines en moi, certaines que j’ai vues et d’autres que je n’ai pas vues. Ne serait-ce donc pas génial si plutôt que d’avoir une cancel culture nous créions une culture de compassion où l’on serait prêt à souffrir avec ceux que l’on aime parce qu’on les aime. Ne pourrions-nous pas devenir une communauté qui sème des graines ? Après tout, si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
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Je vous remercie.